Elle a connu la guerre, les lampes à pétrole, la naissance de la télévision et aujourd’hui l’intelligence artificielle. À 100 ans, « Mamie Ouin-Ouin » porte un siècle de souvenirs, d’amour et d’énergie. Découvrez le portrait de cette Ablonaise qui a bâti sa vie, sa maison et une part de l’histoire de la ville.

Née en 1925 dans l’Aveyron, près du futur viaduc de Millau, elle a vu le monde se transformer sans jamais cesser de s’en émerveiller. Fille de paysans, elle grandit au grand air, entre les champs et les cahiers d’école. Surnommée « Ouin-Ouin » depuis son enfance, elle ne se souvient plus vraiment pourquoi ; sans doute un son qu’elle faisait bébé, resté comme une marque d’affection dans la famille. « À l’époque, les fils de paysans n’allaient pas au lycée, mais l’instituteur a cru en moi… et j’ai obtenu une bourse », sourit-elle.
Pendant la guerre, pensionnaire à Albi, elle poursuit ses études malgré les privations et les trajets interminables. Après la Libération, à seulement 19 ans, elle entre à la Poste, un métier tourné vers les autres : « Je voulais mettre un peu de moi dans le social. » Cette envie d’aider, de comprendre et de transmettre ne la quittera plus.
Les Castors d’Ablon : bâtir ensemble, vivre ensemble
En 1953, avec son mari Claude, elle rejoint les Castors d’Ablon, un groupe de familles décidées à construire leurs maisons elles-mêmes. « Dix-huit maisons en trois ans ! Pas d’eau, pas de voiture, pas de télé… mais quelle ambiance ! » Quand les maisons sont achevées, leur répartition se fait par tirage au sort, en tenant compte du nombre d’enfants de chaque famille. « On ne savait pas laquelle serait la nôtre. C’était un moment fort ! » Le jeune couple s’installe à Ablon en 1956 avec leur premier enfant. Entre le travail à la Poste, les courses à pied et la vie de quartier, les journées sont longues mais joyeuses. Les enfants jouent dans les champs alentour, et le quartier se transforme peu à peu en communauté soudée, où les voisins partagent leurs conseils, leurs rires et parfois même leurs repas. « On fermait la route pour danser. Tout le monde se connaissait, on partageait tout, même le frigo ! » Les échanges vont bien au-delà des murs : on s’entraide pour les réparations, on s’invite aux anniversaires, et chaque famille apporte sa touche personnelle au quartier.
Plus tard, elle participe à la construction de l’espace culturel. « Ma signature y est encore, gravée sur une poutre », confie-t-elle malicieusement. Et lorsque le vent du changement souffle sur la France en mai 68, elle y participe elle aussi, accompagnant ses enfants dans leurs découvertes et leurs idéaux. Ces années restent gravées dans sa mémoire comme un temps de solidarité et de joie simple, où l’entraide faisait la vie de tous les jours.
Cent ans d’amour et de modernité
Les années passent, mais elle n’a rien perdu de sa vitalité ni de sa curiosité. À 80 ans, elle s’offre un vol en parapente au-dessus des Pyrénées : « Même pas peur ! » Toujours à l’aise avec un ordinateur, elle sait se débrouiller dans le monde moderne tout en gardant son humour vif. Elle aime raconter ses souvenirs à ses petits-enfants et leur transmettre ses astuces de vie quotidienne.
Entourée de ses trois enfants, sept petites-filles et douze arrière-petits-enfants, elle observe Ablon évoluer sans nostalgie. « Avant, on n’avait rien, mais on était heureux. Aujourd’hui, on a tout… il ne reste qu’à retrouver un peu de fraternité. » Pour elle, cent ans se résument en trois mots : santé, rires et amour. Un siècle de vie, d’humour et d’un courage remarquable, incarné dans une femme qui continue de faire battre le coeur d’Ablon et d’inspirer tous ceux qui croisent son chemin.
Mémoire et transmission
Au fil des années, elle a pris soin de raconter sa vie, ses souvenirs et ses anecdotes. Des pages sur le pain à la ferme aux histoires des Castors, jusqu’aux escapades en parapente, tout est consigné avec humour et sincérité. « J’écris pour mes enfants et mes petits-enfants, pour qu’ils sachent d’où ils viennent », explique-t-elle. Elle ponctue ses récits de petits détails du quotidien : comment elle organisait les courses, les fêtes de quartier ou encore les moments drôles avec Claude et les enfants.
Sa mémoire est une fenêtre sur le siècle passé, un lien vivant entre la ville, sa famille et l’avenir. Et malgré l’âge, elle continue de transmettre sa curiosité et sa malice, rappelant que vivre pleinement, c’est garder son esprit ouvert, son coeur généreux et son rire intact, pour que les générations suivantes puisent dans ses souvenirs autant de joie que d’inspiration.
Elisa Dehours, doyenne d’Ablon-sur-Seine
Vivre pleinement,
c’est partager, rire et oser !


